L’instinct maternel ça n’existe pas

– Bonjour Claire, peux-tu nous parler un peu de toi ?
– J’ai 42 ans, je suis secrétaire de direction et je me suis mise en couple avec un homme qui a des enfants depuis un peu plus d’un an. Je n’ai jamais ressenti l’envie d’en avoir moi-même et l’idée d’avoir à m’occuper d’eux ne m’intéresse vraiment pas.

– Comment se passe ta relation avec ton partenaire ?
– On s’est rencontré via une app, on avait beaucoup de points communs mais le fait qu’il ait des enfants m’a beaucoup fait hésiter. Lorsque j’ai évoqué mon non-désir d’enfant, il a été très compréhensif. Il m’a d’ailleurs fait part que si c’était à refaire, il n’en n’aurait probablement pas eu. Il a vite compris que je ne participerai pas à leur éducation et on a finalement trouvé une solution. Nous vivons chacun chez nous, ce qui me laisse du temps pour mes hobbies et mes sorties lorsqu’il garde ses enfants. Ca n’est pas exactement la manière dont je voyais le couple mais pour le moment ça fonctionne plutôt bien. On se voit moins souvent mais les retrouvailles sont géniales.

– Ses enfants te connaissent ? Entretiens-tu une relation avec eux ?
– Je les ai rencontré, oui. Ca s’est plutôt bien passé. Ils ont leur mère et la situation ne semble pas les déranger plus que ça. Ils sont contents de voir leur père heureux et c’est le plus important. Je ne dirais pas que j’évite de les voir mais j’ai assez de mal avec la pré-adolescence. On tissera peut être plus de liens quand ils seront plus grands, j’en sais rien mais pour le moment, tout à l’air de bien se passer, c’est l’essentiel.

– Le fait d’avoir des « enfants dans ta vie » a changé quelque chose ?
– J’ai toujours été claire avec mon partenaire, je n’interfère jamais dans leur éducation. C’est un sujet qui le regarde lui et leur mère. On m’a souvent dit que c’était différent quand « c’est les tiens » mais je constate surtout que l’instinct maternel n’existe pas. J’ai le sentiment que c’est surtout une construction sociale. A force de rabâcher aux femmes qu’elles sont faites pour faire des enfants, elles finissent par le croire. Ca ne me dérange pas trop d’être en compagnie de ses enfants mais c’est une chose que je ne pourrais pas faire au quotidien.

– Comment as-tu « découvert » que tu ne voulais pas d’enfant ?
Je ne dirais pas qu’il y ait réellement eu de « déclic ». Je n’en ai jamais voulu. Dès mon plus jeune âge, jouer avec un poupon ne m’intéressait pas. Toute mon adolescence j’ai eu le droit aux éternels « tu changeras d’avis », « tu es encore jeune » et j’en passe mais tout au fond de moi, je savais que je ne ferai jamais d’enfant. C’est une chose qui ne m’a jamais intéressé et en grandissant, mon indépendance et ma culture féministe m’ont confirmés que j’avais fait le bon choix. Je ne veux pas m’imposer des choses pour être dans une certaine « norme » qui, au final, ne fait que détruire des vies. Se rendre malheureuse pour faire comme tout le monde, ça n’aurait pas de sens.

– Qu’as-tu ressenti en découvrant qu’il existait une communauté childfree ?
– A force d’entendre les gens te dire que « tu n’es pas normale », j’ai fait quelques recherche sur Internet dans l’optique de comprendre le « problème ». J’ai rapidement découvert qu’il existait d’autres personnes comme moi et, je dois l’avouer, ça a été libérateur. J’ai commencé à lire beaucoup de choses sur le sujet et je me suis tout de suite reconnu dans les divers profils de personnes qui s’expriment sur la question. J’ai aussi découvert que bon nombre de mères regrettaient d’avoir eu des enfants. Un sujet tellement tabou qu’il est bien difficile d’en parler publiquement (NDLR : Une mère a témoigné sur le sujet dans cette autre interview).

– Tu as ressenti cette pression sociale dont bon nombre de childfree évoquent souvent ?
– Oui ! Comme je le disais, dès mon adolescence, on a mis le poids de la maternité sur mes épaules alors que mon discours allait clairement dans l’autre sens. Il y a beaucoup trop de gens qui sont ancré dans ce modèle et qui sont incapables de se faire à l’idée qu’une autre vie est possible. Ca me rend triste. J’ai quelques amies qui ont des enfants et souvent elles me parlent du fait qu’elles sont coincées dans leur rôle de maman et qu’elles ne peuvent pas forcément faire tout ce qu’elles voudraient. Je n’ai vraiment pas envie de vivre ça. C’est mon corps et mon choix, la société n’a pas le droit de m’imposer quoi que ce soit. De manière générale, j’ai bien peur que beaucoup de personnes s’enferment dans ce modèle familial justement parce que leur entourage le fait. Une normalité majoritairement acceptée alors que c’est un sacrifice pour beaucoup.

– Tu as dis avoir rencontré ton partenaire sur une app, tu as eu quelques déconvenues sur ce service ?
– Comme beaucoup, il faut faire avec des lourds qui viennent quémander du sexe. C’est un peu hors-sujet mais il y a un vrai travail d’éducation à faire avec les hommes. Je n’ai jamais été fermée aux « aventures » mais certains mecs peuvent être tellement pénibles, ça refroidit. J’ai eu le droit à des « avec moi tu voudras des enfants », et quelques insultes. Certains hommes ne semblent pas accepter l’idée qu’une femme puisse être indépendante et faire ses propres choix. Beaucoup de personnes avec des enfants m’ont aussi soutenue en me disant que j’avais raison. En entendant ce genre de discours, on se dit que la parentalité ça n’est pas forcément la vie rêvée…

– Je sais qu’il y a pas mal de jeunes personnes qui viennent lire ces témoignages, tu aurais quelque chose à leur dire ?
– La seule chose que je peux leur dire, c’est de n’écouter qu’eux. On peut tout à fait avoir 15 ans et avoir fait son choix. Bien entendu, les adultes ne vous prendront pas au sérieux. Le mieux c’est de les laisser dire et quand viendra le jour où vous volerez de vos propres ailes, vous ferez bien ce que vous voudrez. La pression sociale n’est pas toujours de la méchanceté, j’imagine que la plupart des gens n’ont pas de réflexion sur le sujet de la parentalité et de ce que ça implique réellement. Des réflexions que l’on ne trouve que dans les groupes childfree. Si on s’interroge sur la vie que l’on souhaite, les enfants sortent souvent de l’équation. Et le plus important, on a le droit de ne pas en vouloir. Cela doit rester un choix.

– Quelque chose à rajouter ?
– Je crois que j’ai dit l’essentiel. Des initiatives comme ton site sont importantes. Comme on en avait discuté avant l’interview, il est très important d’assumer ses choix et de les afficher partout où c’est possible. Il n’y a aucune honte à être childfree et propager la parole est une bonne manière de faire découvrir à des personnes qu’elles sont tout à fait normales et qu’elles ont le droit de faire ce qu’elles veulent de leurs vies. Indiquer sur son profil Twitter que l’on est childfree, comme tu le fais, c’est le meilleur moyen de montrer que l’on existe. Et si on doit se prendre quelques remarques à côté de la plaque, ça n’est pas très grave. L’important c’est d’être heureux. Tant pis pour les grincheux.