De l’asexualité à l’écologie, il nous parle de sa vie sans enfant

Les raisons qui poussent à ne pas avoir d’enfant sont nombreuses. Si les childfree sortent souvent des normes sociales, le témoignage d’aujourd’hui illustre parfaitement ceci. Se construire en dehors de ces normes, justement, est tout à fait possible et cette petite interview devrait vous en convaincre.

– Salut RValiasRV, peux-tu te présenter un peu ?
– Je m’appelle Hervé, d’où mon pseudo, j’ai bientôt 33 ans, je suis conducteur de trains. De ma passion pour le ferroviaire quand j’étais petit, je me suis dirigé vers des études techniques orientées vers l’électrotechnique (« applications industrielles de l’électricité »), qui m’ont elle-même fait naître un grand intérêt pour l’énergie de manière générale, avant de me mener à mon métier actuel. Je pense avoir toujours été quelqu’un de curieux, j’aime beaucoup les sciences mais après une vie de jeune adulte explosive (médiation scientifique, autres types d’associations, militantisme, vélo, musique, et j’en passe), je me limite désormais aux Lego Technic et au soirées thématiques ou entre amis.

– Tu souhaitais évoquer de ton adolescence, peux-tu nous en parler ?
– J’ai toujours été un peu du genre solitaire et pendant longtemps je n’avais qu’une poignée d’ami.e.s contrairement à mes camarades de classe mais ma relations avec elleux était d’une richesse mémorable (la qualité plutôt que la quantité ?). J’étais très bien avec elleux, je pense que ça a du jouer dans le fait que je n’ai jamais voulu « avoir une copine ». Lorsque mes ami.e.s et autres camarades de classe ont changé de regard et de comportement envers leurs partenaires potentiel.le.s, je réalisais qu’il y avait quelque chose de très différent en ce qui me concerne, c’était les premiers signes de mon asexualité.

Pour autant, je ne pense pas que ce que je définissais comme mon « anuptialité » soit suffisante (voire nécessaire ?) pour expliquer mon « childfreeisme ». J’ai beaucoup, beaucoup de cousins et cousines. Je devrais les compter pour savoir combien j’en ai et je ne serais même pas sûr de ne pas me tromper. Parmi mes cousines et cousins, j’ai été amené à partager des vacances voire des périodes de vie entières avec pas mal d’entre elleux. Là aussi, j’ai eu de très bonnes expériences, mais aussi des… difficiles. En particuliers avec celleux en bas âge. Je pense (je n’en sais rien mais ça me parait plausible) que c’est de là qu’est née mon aversion pour les enfants en bas âge. Cette aversion spécifique (je n’ai aucun problème avec les adolescents, par exemple) est cohérente avec l’idée d’un « childfreeisme acquis ». Dans ces moments difficiles, je comptais les jours avant le retour à une situation normale et je me disais plus ou moins consciemment que « bien sûr, quand je serais grand, ce sera encore mieux, car je n’aurais pas d’enfants ! ». Même si ça me parait clair aujourd’hui, je ne pourrais garantir que j’étais aussi affirmatif à l’époque.

– J’imagine que le passage à l’âge adulte a changé pas mal de choses ?
– Disons que ça a surtout rendu les choses plus concrètes. Je pouvais me poser la question « quel type de vie j’ai envie ? ». Aujourd’hui, quand j’y pense, je pourrais avoir l’impression que c’était clair pour moi, que la simplicité guidait mes choix. Sans me perdre en détails sur mes envies peu affirmées voire contradictoires de l’époque, je me souviens clairement d’une chose : j’aspirais à vivre seul, sans « partenaire » mais surtout sans enfants. Pendant mes études, j’ai récupéré cette image de l’éternel célibataire pour en faire un avantage concurrentiel : oui, je pourrais aller loin dans mes études et dans ma carrière car ce sera plus facile pour moi, vu que je n’aurais ni femme ni enfants à gérer. Je pense que cela a été décisif dans ma volonté de continuer mes études malgré mes difficultés en fin de secondaire, tout ça pour découvrir que le métier vers lequel je me dirigeais, celui d’ingénieur, ne me plaisais pas du tout (même si les études pour y parvenir étaient passionnantes !).

Ma vie d’étudiant m’empêchais de me projeter réellement d’un point de vue familiale. La seule chose qui comptait à mes yeux, c’était de me focaliser sur la mise en place de mon projet professionnel mais aussi profiter de la vie en attendant (d’où les nombreuses activités). Je réalise avec le recul à quel point la volonté de fonder une famille, dont je ne faisais pas preuve, doit conditionner les choix de vie et les projets. J’ai eu deux longues expériences dans des logements temporaires par rapport à mon boulot, j’étais très bien dans ces studios même lorsque j’étais à Strasbourg, à la fois loin de mes amis et loin de ma famille. Lorsque je cherchais mon logement actuel, mes seules contraintes était qu’il devait être proche de mon boulot (à Paris donc, si possible dans le 12ème) et suffisamment grand pour pouvoir accueillir mes Lego. Aujourd’hui, j’ai l’impression de vivre un rêve éveillé dans mon deux pièces complètement hors normes. Je n’aurais pas à me soucier de devoir déménager pour un agrandissement de ma famille (problématique que j’ai découvert dans la série audio « Les aventures trépidantes de Brigitte Tornade ») mais aussi de plein d’autres problématiques que je peux imaginer (être près d’une crèche ou d’une école, assurer la mobilité de la famille maintenant que je vis sans véhicule automobile…) et d’autres que je ne soupçonne sans doute pas !

– Est-ce que tu dirais qu’être childfree est assez difficile à assumer ?
– Ayant la chance de bénéficier d’un entourage bienveillant et/ou favorable, je ne pense pas être le plus à plaindre.

Côté professionnel, j’ai fait bien entendu face à une grande incompréhension et de nombreuses questions. J’ai trouvé cela intéressant car c’est définitivement un sujet qui déchaîne les passions, je ne l’ai pas vraiment vécu comme une forme de pression. J’ai surtout vu les difficultés que ça impliquait pour mes différents collègues (emmener ou récupérer la marmaille à l’école ou la crèche, trouver une personne pour garder les enfants dans d’autres contextes, s’occuper d’eux lorsqu’ils sont malades), de mon côté, je partais de ma vision Bisounours du monde en se disant que s’ils se donnent tant de mal, c’est que quelque part ils doivent s’y retrouver…

J’ai toujours eu plus de mal à m’y retrouver face à mes supérieurs ou des employeurs potentiels, car être childfree s’ajoutait à ce qui semble être une longue liste d’anticonformisme social, comme mon choix d’être « carfree » (et donc vu comme un écolo radical) et le fait ne pas être en couple. Intuitivement je sentais qu’autant de particularités pourraient inspirer de la méfiance et cela a certainement joué dans ma précédente activité professionnelle dont le contexte était assez particulier. Aujourd’hui, je n’ai plus ce problème, car mon métier semble particulièrement adapté à mon profil et surtout à mes attentes personnelles. Je me réjouis également du gain en maturité des mes collègues. C’est à se demander si les responsabilités de mon métier rendent cela nécessaire, tant la différence est flagrante.

– Comment ton entourage a pris ta décision de ne pas avoir d’enfant ?
– Issu d’une famille nombreuse, mes parents sont déjà grand-parents (plus d’une fois !) et donc la relève est assurée. Mes parents se sont faits à l’idée, car il savent que je suis heureux ainsi. C’est toujours un sujet de plaisanterie auprès de mes différents oncles et tantes. C’est un non-sujet également au sein de mon cercle amical et de mes fréquentations diverses (associations…), au point que j’ai vraiment l’impression que ce niveau de tolérance va de soi.

– Quelles sont les questions que l’on te pose le plus souvent ? Comment y réponds-tu ?
– Parmi les questions qui ponctuaient les classiques « Es-tu sûr ? Car être parent c’est la plus belle chose au monde ! », j’ai eu le droit au « Comment feras-tu le jour où tu rencontra une femme qui veut des enfants ? ». À l’époque, je ne me savais pas aromantique mais ma réponse était claire : c’est non négociable. J’ai sans doute échappé à pas mal de questions en répondant aux questions qui portent sur mon rapport aux enfants : je ne les trouve ni mignons, ni adorables, ni d’une agréable compagnie. J’ai été pas mal interrogé sur mon niveau de certitude du fait d’être childfree. Je ne sais pas si c’est à ce moment que j’en ai pris conscience mais j’ai reconnu que je préfère mourir ou être en prison à vie plutôt que d’avoir des enfants.

Enfin, l’incontournable question du regret, quand il sera trop tard pour avoir des enfants (suivant le schéma social normatif). C’est tellement un non sujet que je ne sais plus ce que je répondais dans ces cas-là, sans doute simplement en insistant sur le fait que, dans le cas où j’en aurais, le regret serait immédiat (cela étant bien évidemment irréversible). Aujourd’hui, je pourrais mettre en balance tout ce qu’il ma été possible de faire grâce au fait de ne pas avoir d’enfants (avoir une Subaru Impreza, avoir un vélomobile, faire un métier qui me plait mais qui m’aurait éloigné me famille et qui connait un taux de divorce ahurissant), bref, vivre, tout simplement.

– Selon toi, qu’est-ce que t’apporte cette vie sans enfant ?
– Je ne vais pas être original en évoquant la liberté. Faire ce que je veux, quand je veux, faire ce que je veux de mon argent sans responsabilité vis-à-vis de qui que ce soit. Je n’ai de comptes à rendre qu’à moi-même. De l’original à l’inattendu : vivre sans enfants, c’est aussi profiter pleinement de mon appartement. Ce dernier est toujours propre et bien rangé, et j’ai fini par comprendre que ça comptais plus à mes yeux que ce que je ne voulais reconnaître. Bénéficiant d’un F2, je peux recevoir du monde pour un apéro ou une soirée, voire tout un weekend grâce à ma chambre d’invité.. Quand je ne reçois pas, je peux prendre part à tout événement ou activité qui m’intéresse sans me soucier d’une éventuelle garde à prévoir. Je terminerais en évoquant la quiétude, celle de ne pas avoir à me soucier de toutes les responsabilités et les contraintes associées au fait d’avoir des enfants (financières, administratives, ou autres !).

– Quelque chose à rajouter ?
– Dans un monde où être une personne childfree est peu reconnu et peut-être difficile à assumer, j’ai l’impression d’être un privilégié tant ma situation est idéale : je vis seul, sans l’intention de me trouver une partenaire et sans avoir à être confronté aux question de contraception et d’une éventuelle divergence d’opinion sur le sujet, je fais un métier qui rend difficile une vie de famille traditionnelle et donc je ne souffre pas de ses principaux inconvénients, j’ai une vie riche et épanouie auprès de mes fréquentations et même si je ne suis pas de celleux qui profite de leur childfreeisme pour voyager au bout du monde, je peux, sur un coup de tête, participer à des événements loin de chez moi tant que le train peut m’y amener. J’ai une famille compréhensible avec laquelle je m’entends bien… Bref, je sais que malheureusement, toutes les personnes childfree, notamment les femmes auprès desquelles la pression sociale est encore plus forte, n’ont pas cette chance.

Petite anecdote pour finir. Lorsqu’un ami ou une amie, ou camarade de classe m’apprend attendre un « heureux événement », c’est à mes yeux une mauvaise nouvelle. Cela signifie que c’est une personne dont je n’aurais plus de nouvelles, ou du moins que je ne pourrais plus voir aussi souvent qu’auparavant. C’était difficile au début, du fait de la constitution de mon cercle amical de l’époque et aussi car le phénomène était nouveau pour moi. Mais très vite mes fréquentations se sont adaptées et cela m’impacte beaucoup moins. J’ai l’impression de fréquenter de plus en plus de personnes childfree, même en dehors de la communauté CF !