Certaines personnes affirment très tôt dans leur vie qu’elles ne seront jamais parents. C’est un choix qui peut sembler déroutant pour beaucoup, mais qui repose souvent sur une absence profonde de désir, sans explication particulière. Ce refus de la parentalité ne découle pas toujours d’un traumatisme ou d’un raisonnement extérieur. Il peut simplement s’imposer comme une évidence, sans appel intérieur vers la maternité ou la paternité. Pourtant, ce positionnement reste largement incompris, car il déroge à ce que la société considère comme un parcours de vie « naturel ».
Un point souvent mis en avant, et qui devient problématique, c’est la manière dont les médias généralistes abordent le non-désir d’enfant. On en parle principalement à travers des questions écologiques, comme si la seule manière d’en parler sérieusement était d’évoquer l’éco-anxiété ou la responsabilité climatique. Cela crée une forme de hiérarchie implicite entre les raisons « acceptables » et les autres, et donne l’impression que les personnes sans désir d’enfant doivent se justifier par un engagement supérieur. En réalité, la majorité des personnes concernées n’ont pas envie d’en avoir, tout simplement, sans besoin d’argument global ou politique.
Il existe pourtant une grande diversité de raisons pour ne pas vouloir d’enfants. Cela peut relever de peurs profondes liées à la grossesse ou à l’accouchement, comme la tokophobie, de contextes familiaux complexes, de considérations psychologiques, financières ou même d’un refus de se projeter dans un rôle parental. Toutes ces raisons sont valables. L’idée qu’un désir soit légitime uniquement s’il s’explique rationnellement ou moralement est réductrice. Il faut rappeler qu’on n’a pas besoin d’une raison exceptionnelle pour faire un choix de vie personnel.
Ce discours écologique, en plus de marginaliser d’autres motivations, peut aussi être récupéré politiquement de manière inquiétante. Certains médias, notamment d’extrême droite, s’en emparent pour défendre des idées de contrôle des naissances. Le danger, c’est que ces discours glissent vers des propositions de régulation démographique sélective, où seuls certains groupes seraient jugés « légitimes » à se reproduire. Cela ouvre la voie à des logiques discriminatoires fondées sur des critères sexistes, racistes, validistes ou classistes. Il est essentiel de distinguer une décision individuelle libre d’un projet politique de restriction des libertés.
Un autre aspect trop peu mis en lumière est l’impact des naissances dans le cadre du couple hétérosexuel. L’arrivée d’un enfant aggrave souvent les inégalités déjà présentes. En France, plus de trois quarts des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, souvent pour des raisons liées à la parentalité. C’est encore le salaire le plus élevé du couple, souvent celui de l’homme, qui est priorisé. Ce mécanisme perpétue les écarts de revenus, fragilise les parcours professionnels féminins et se traduit plus tard par des retraites plus faibles. Ces réalités économiques pèsent sur les femmes, et rendent le choix de ne pas avoir d’enfant aussi stratégique que personnel.
Enfin, il existe une pression culturelle très forte sur celles et ceux qui n’aspirent pas à la parentalité. On soupçonne un traumatisme caché, on conseille d’aller voir un psy, on parle de regret futur comme d’une certitude. L’idée que toute personne finirait par vouloir transmettre ou élever un enfant reste dominante. Pourtant, on peut assumer ce choix en connaissance de cause, accepter la possibilité du regret, comme on le fait pour d’autres décisions irréversibles. Quant aux hommes, s’ils subissent eux aussi des injonctions, elles sont souvent liées à la transmission du nom ou du patrimoine, et reposent sur d’autres logiques, plus symboliques que concrètes. Le rapport à la parentalité, selon le genre, repose sur des attentes très différentes, et c’est aussi cela qui mérite d’être questionné.